Football : les « rois d’Istanbul », fans de la dernière équipe du classement turc

L’équipe de football Ümraniyespor a affronté le n°4 national Beşiktaş, le 30 octobre à Istanbul. Rencontre avec les supporters assidus de la moins bonne équipe du pays, qui ne lâchent rien malgré les défaites.

Le 30 octobre, au lendemain des célébrations de la fête nationale turque, une foule affublée de noir et blanc a envahi le cœur européen d’Istanbul, pour soutenir à domicile le club de football Beşiktaş Jimnastik Kulübü. Avec plus de 16 millions de supporters, « BJK » est l’un des trois plus grands clubs en Turquie.

L’adversaire du jour est Ümraniyespor : l’équipe de football la moins forte de la première division du pays. Elle a vu le jour en 1938 dans le quartier populaire d’Ümraniye sur le côté anatolien d’Istanbul. En septembre 2022, après des années de relégation, elle a réussi à se hisser en première division turque Süperlig. Depuis, elle n’a gagné aucun match.

« Ümraniyespor est seule »

Dans la douceur de cet après-midi d’octobre, alors que la tension monte, Fatih Dönmez, le président du groupe de supporters d’Ümraniyespor, reste optimiste : « C’est notre première année en Süperlig et notre première rencontre avec Beşiktaş. Le ballon est rond, on a 90 minutes, tout peut arriver. »

Behlül, Celil, İlker et Fatih sont les leaders du groupe de supporter d’Ümraniyespor. (Photo : Aylin Elçi)

Arrivé au stade Vodafone Park de Beşiktaş, l’homme d’une cinquantaine d’années retrouve Celil, İlker et Behlül, ses fidèles acolytes de quartier vêtus de rouge, couleur de leur club. « Si vous fréquentiez nos matchs pendant deux ans, ou même dix ans, vous verriez toujours les mêmes quelques personnes », déclare ce dernier, excédé de manquer de soutien. « Ümraniyespor est seule. Nous n’avons pas beaucoup de supporters, nous n’avons pas de collectif à la fédération de football, et nous n’avons pas de grand lobby pour que les arbitres soient cléments avec nous. »

Les « rois d’Istanbul »

Alors que le stade est assailli par plus de 42 000 spectateurs venus soutenir les aigles de BJK, les fidèles d’Ümraniyespor hommes s’engouffrent dans l’entrée du stade réservée aux supporters en déplacement. « Regarde-les, ils sont seulement quatre ! », ricane l’une des personnes chargées de la sécurité en donnant un coup de coude à son collègue.

Contrairement à d’autres équipes, la leur n’a pas les moyens d’organiser les déplacements ou de soutenir financièrement l’achat des billets. Pour un match de Süperlig, il faut compter 180 lires turques, soit 10 euros dans un pays où le revenu minimum est de 352 euros bruts par mois.

Kemal, Volkan, Ferhat et Burak sont de la nouvelle génération des supporters d’Ümraniyespor. (Photo : Aylin Elçi)

Des 726 000 habitants d’Ümraniye, seule une petite centaine se trouve finalement dans le stade à quelques pas du Bosphore au coup d’envoi à 17 heures. Les chants des « enfants du quartier dont les rues ne mènent pas à la mer », comme ils se nomment, sont étouffés par ceux de l’adversaire. Alors même qu’ils crient « nous serons toujours les rois d’Istanbul », les joueurs en rouge encaissent un but à la cinquième et 33e minutes. Malgré ses efforts, le club anatolien sera battu 5–2.

« L’amour du quartier »

Une fois qu’il a « surmonté le choc initial » du résultat, Fatih Dönmez prépare déjà avec enthousiasme le prochain match. Il aura lieu le vendredi 4 novembre, à domicile : « Ce sera le premier match que nous jouerons dans notre stade à la nuit tombée, un moment historique… Enfin, si les éclairages sont prêts à temps. »

Il y a douze ans, le président des supporters et ses amis ont constaté que leur stade était devenu une déchetterie où la bagarre, l’alcool et la drogue étaient monnaie courante. À l’époque, ces hommes soutenaient tous les grandes équipes turques, parmi lesquelles Beşiktaş. Aujourd’hui, investis par la mission de développer les activités dans leur quartier, ils sont de fervents supporters d’Ümraniyespor. La petite équipe de bénévole s’occupe de la vente des billets des matchs à domicile, des réseaux sociaux du club, et des pancartes des supporters pour les rencontres.

Azizcan Ergen, 25 ans, fait partie de la génération conquise par les améliorations : « Nous nous sommes toujours déplacés malgré les kilomètres et nous avons soutenu l’équipe même lorsqu’elle a joué en ligue amateur, déclare-t-il. S’ils jouaient au football dans la rue, on les encouragerait depuis le trottoir. »

Ferhat, lui, se débrouille d’une manière ou d’une autre pour dénicher des billets pour toutes les rencontres d’Ümraniyespor depuis le début de la Süperlig : « C’est l’amour du quartier, quelque chose qu’on éprouve dès la naissance », déclare-t-il fièrement. Pour les supporters du plus mauvais club de football de Turquie, gagner ou perdre n’a pas d’importance lorsque l’on est animé par la passion d’Ümraniye.